Si vous gérez une activité de livraison, le terme de dispatch n’a probablement plus de secret pour vous. C’est même devenu l’une des notions clés du secteur au point de donner son nom à un métier à part entière, celui de dispatcheur.
Si au contraire, cette notion ne vous dit absolument rien, il y a pourtant des chances qu’à l’image de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, vous ayez déjà endossé le rôle de dispatcheur sans le savoir. Par exemple, s’il vous est déjà arrivé de couper une tarte pour servir équitablement vos convives, félicitations, vous avez déjà touché au dispatch.
Bien qu’on associe plutôt le métier de dispatcheur au secteur du transport de personnes ou de marchandises, son origine est plutôt à chercher dans le domaine militaire et diplomatique puis dans celui des communications et de la presse.
Retour sur l’histoire d’un terme désormais au coeur de toute activité logistique et sur son évolution à l’heure de la transformation numérique.
Définition et étymologie
Vous l’aurez remarqué, dans la “supply chain”, on emploie beaucoup de mots anglais. Le dispatch ne déroge pas à la règle et est rentré dans le langage courant sans qu’aucune traduction correcte ne vienne le déloger.
Le terme anglais de dispatch vient du verbe “To Dispatch” et se traduit en français par le fait de “répartir, d’orienter des choses, des tâches ou des personnes”. De ce mot est né l’anglicisme du “dispatcheur” dont le rôle s’apparente aujourd’hui à créer les conditions d’une organisation optimale des flux logistiques.
En français, le mot qui s’en rapprocherait le plus est bien évidemment le verbe “dépêcher” qui, comme ses corollaires italien “dispacciare” ou espagnol “despachar”, a pour définition le fait d’envoyer quelqu’un « en hâte » pour effectuer une mission.
Illustration : Définition du dictionnaire Le Robert
Dispatch et communications militaires ou diplomatiques
Si cette première définition nous oriente vers le fait de missionner quelqu’un pour réaliser une action, il s’agit en réalité souvent de transmettre un message.
Cette acception du mot apparaît déjà au XVIe siècle, où le mot « dispatch » est utilisé pour désigner un message urgent et confidentiel qu’on envoie rapidement. Le terme de « dépêche » signifie non plus la personne dépêchée quelque part pour transmettre un message mais le message en lui-même.
Pour transmettre ces messages, les armées se dotent alors d’un genre de soldat particulier : les “estafettes”. Aussi appelés les despatch riders dans les armées britanniques, ces derniers sont chargés transmettre à pied à cheval ou à moto les dépêches entre les avant postes et les centres de commandement.
En effet, à l’heure où les télécommunications ne sont pas encore inventées (et même après leur invention car celles-ci ne sont pas forcément fiables ou sécurisées), la transmission d’informations sensibles se fait forcément par voie humaine.
Illustration : Le film 1917 (2019) de Sam Mendes dans lequel deux soldats britanniques sont chargés de délivrer l’ordre d’annuler une attaque à un bataillon situé de l’autre côté du no man’s land pour leur éviter de tomber dans un piège tendu par l’ennemi.
Dans le même esprit, lorsque les corps diplomatiques des différents États sont notamment chargés de transmettre à leur gouvernement des informations sensibles de façon rapide et sécurisée par le biais des dépêches diplomatiques. Ces courriers spéciaux ont longtemps été acheminés par voie terrestre ou maritime par le biais d’envoyés avant que ne soient inventés le télégramme ou les communications numériques.
Parmi elles, la dépêche d’Ems est par exemple restée célèbre pour son rôle dans le déclenchement de la guerre de 1870 lorsqu’un télégramme envoyé par le chancelier Bismarck mit le feu à toutes les ambassades européennes en inventant à dessein un incident diplomatique entre le roi de Prusse et l’ambassadeur de France en Prusse.
Dispatch, presse et (télé)communications
Au XIXème siècle, l’Agence Havas qui deviendra un siècle plus tard l’Agence France Presse est en charge de traduire et de condenser les nouvelles de différentes sources pour les transformer en “dépêches” et les diffuser rapidement à ses clients : les différents organes de presse, les agents de l’Etat ou encore des entreprises privées. A cette époque, l’envoi des dépêches pouvait se faire en quelques heures via pigeon voyageur, en quelques minutes via le télégramme et plus tard en quelques secondes via les communications satellites.
On retrouve toujours cette notion de dépêche aujourd’hui avec les fameuses dépêches AFP ou dans le nom de journaux comme le quotidien régional français la Dépêche du Midi.
Illustration : le réalisateur Wes Anderson dont le dernier film narre les aventures d’un magazine fictif et très éclectique baptisé « French Dispatch » dans la petite ville d’Ennui-sur-Blasé.
À la fin du XIXème et au début du XXème, le développement des télécommunications, provoque un glissement sémantique du terme dispatch vers la notion d’aiguillage et donc bientôt de répartition avec les premiers opérateurs du téléphone moderne.
L’une des premières compagnies du téléphone, la Boston Telephone Dispatch, recrute des opérateurs puis des opératrices dont le métier consistait à aiguiller les appels vers les bonnes lignes téléphoniques afin d’établir une communication entre deux interlocuteurs. Un métier qui disparaîtra complètement avec l’automatisation des transmissions.
Illustration : Scène tirée de la série espagnole Las Chicas del Cable sur les début du téléphone.
Définition actuelle du métier de dispatcheur
Dans son acception actuelle, le dispatch désigne un métier à part entière, fortement lié aux enjeux logistiques c’est à dire la gestion des flux de personnes et de marchandises. Il consiste à organiser la circulation des flux de la façon la plus efficace possible en prenant en compte des contraintes spécifiques et les ressources à sa disposition.
C’est un poste qu’on retrouve par exemple au sein des services d’urgence dont le rôle est de recevoir des appels, de qualifier les demandes et d’orienter les équipes sur le terrain pour intervenir le plus rapidement possible qu’il s’agisse d’équipes de pompiers, de policiers, de médecins etc.
On en revient donc à la traduction française du mot dépêcher c’est à dire le fait “envoyer quelqu’un en hâte pour effectuer une mission”.
Illustration : L’actrice Halle Berry dans le film The Call (2013) où elle incarne une opératrice du 911, le service d’urgence de la ville de Los Angeles.
La transformation du métier à l’ère du numérique
De la même manière que l’aiguillage des appels s’effectue désormais de manière totalement informatisée, l’arrivée du numérique dans le secteur transport a profondément transformé le métier de dispatcheur en lui fournissant nombre d’outils pour gérer un nombre toujours croissant de demandes.
Pour autant, l’évolution du métier de dispatcheur s’est faite au gré du progrès technologique. L’un des meilleurs exemples pour illustrer cette transformation est probablement de comparer le rôle du dispatcheur dans le transport de personnes entre les années 1990 et les années 2000.
Des centrales de taxis à l’émergence des VTC
Pour cet exemple, il faudra vous remémorer cette époque où, pour réserver une véhicule, vous deviez soit le héler dans la rue soit contacter une centrale de taxis par téléphone et lui indiquer l’heure et l’adresse de prise en charge. Dans ce deuxième cas, l’affectation des trajets demandés par téléphone était principalement “manuelle”.
En effet, le dispatcheur ou la dispatcheuse au bout du fil était ensuite chargé(e) d’appeler ses différents chauffeurs pour savoir où ils se trouvaient (les GPS n’étant pas encore généralisés) et être en mesure d’affecter la course à la bonne personne.
Pour cela, il ou elle pouvait compter sur les moyens de communication existants pour entrer en contact avec des agents mobiles : le bipeur portable (indiquant au chauffeur qu’il fallait trouver une cabine téléphonique pour rappeler la centrale), la Cibi (émetteur radio embarqué permettant de communiquer) ou encore le téléphone fixe embarqué dans les véhicules.
Un bon exemple de ce mode de fonctionnement est à retrouver dans le film Night on Earth de Jim Jarmusch sorti en 1991. Celui-ci met en scène différents taxis dans les années 1990 à Los Angeles, Paris, Rome, New York et Helsinki dont certains entrent en communication avec leur centrale pour savoir où aller chercher leur prochain client (Wynona Ryder via une cabine téléphonique à Los Angeles ou Roberto Benigni via la radio de son taxi à Rome).
NB : Si jamais des fans de la série Breaking Bad se cachent parmi vous, vous verrez Giancarlo Esposito (Gustavo Fring) dans la scène se déroulant à New York.
Illustration : L’actrice Wynona Ryder dans le film Night on Earth (1991) où elle incarne une chauffeuse de taxi à Los Angeles.
Invention du smartphone et automatisation du dispatch
Au début des années 2000, tout change avec l’arrivée des smartphones. Avec eux, un nouveaux mode de fonctionnement émerge et coïncide avec l’apparition des premières plateformes de VTC comme Lyft ou Uber.
Grâce au GPS intégré aux iPhones distribués à tour de bras à leurs chauffeurs, Uber et Lyft ont pu dès leurs débuts envisager une automatisation pure et simple du dispatch.
Dès que quelqu’un demandait une course, c’était désormais un algorithme qui s’occupait de l’affecter au chauffeur le plus proche en lui envoyant une notification push directement sur l’application présente sur son smartphone.
Ce même mode de fonctionnement a ensuite été adopté par les plateformes numériques de livraison de repas dans les années 2010. À chaque fois que vous commandez un plat à vous faire livrer chez vous, les livreurs positionnés aux environs du restaurant reçoivent une notification leur proposant de réaliser la livraison de votre commande du restaurant jusqu’à chez vous.
A la clef, une économie d’échelle immense car si un seul dispatcheur humain ne peut traiter qu’un nombre fini de commandes en un temps donné, un algorithme peut potentiellement en gérer un nombre infini.
En effet, dans le cas d’un dispatch manuel, si le nombre de commandes d’une entreprise venait à augmenter de façon exponentielle, il faudrait engager un nombre proportionnel de nouveaux dispatcheurs. A l’inverse, transférer la responsabilité de cette tâche à un algorithme permet donc gérer cette évolution du nombre de commandes sans pour autant augmenter le nombre de dispatcheurs.
A l’ère du tout numérique, plus besoin de dispatcheurs donc.
Sauf que…
Illustration : l’acteur Joseph Gordon Levitt incarne Travis Kalanick dans la série Super Pumped (2022) sur les début d’Uber.
Pourquoi l’automatisation du dispatch reste marginale ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les plateformes numériques de transport de personnes ou de marchandises bien que très visibles ont plutôt tendance à représenter une infime partie de leur marché respectif. La majorité des acteurs du transport adoptent toujours une forme de dispatch “manuel” mais fortement assisté d’outils numériques.
En réalité, l’automatisation du dispatch n’est ni majoritaire ni ne convient à tous les usages pour deux raisons.
1 – Si cette automatisation correspond parfaitement à l’économie de plateforme dite “à la demande”, qui implique de traiter simultanément des milliers de commandes uniques (aller d’un point A à un point B puis aller d’un point C à un point D), ce genre de cas ne s’applique pas du tout à toutes les entreprises de transport qui font face à des cas d’usage plus complexes comme la gestion de tournées par exemple.
2 – Si l’automatisation requiert moins (voire pas) de dispatcheurs, elle nécessite une nouvelle ressource essentielle pour construire et maintenir l’environnement technique qui la sous-tend : la force de développement. Les plateformes numériques de livraisons possèdent donc énormément de développeurs alors que les entreprises de transport n’en ont généralement pas ou très peu.
Les outils d’aide au dispatch aujourd’hui
Plutôt que de tout développer elles-mêmes, les entreprises de transport bénéficient désormais de nombreux outils numériques à leur disposition pour simplifier le travail de leurs dispatcheurs. Souvent disponibles en SaaS, ces logiciels dédiés à la gestion logistique leur permettent de gérer un nombre toujours croissant de commandes toujours plus rapidement.
Les TMS et DMS
Parmi eux, différents logiciels de livraison comme les TMS (transport management software) ou les DMS (delivery management software) permettent notamment de dématérialiser la prise de commande, d’accélérer l’envoi de missions vers les exécutants, de suivre leur trajet en temps réel et d’envoyer des notifications aux destinataires.
Les applications mobiles pour livreurs
Autre avancée notable, la remontée en temps réel des informations fournies via les applications mobiles utilisées par les chauffeurs permettent à la fois de les géolocaliser mais également de suivre l’état d’avancement des missions (statuts de mission) et de recevoir les preuves de réalisation (photos, signatures, commentaires).
Les optimisateurs de tournées
Dans les cas où les agents seraient amenés à réaliser non pas des commandes uniques (point de départ vers point d’arrivée) mais des tournées, les outils d’optimisations de tournées permettent désormais de calculer très rapidement le trajet le plus court entre différents points.
Illustration : Exemple de calcul de tournées via Everest.